mercredi 7 décembre 2011

Point sur l'évaluation des salariés en entreprise


Comment une direction peut elle réellement évaluer un salarié ? Sur quels critères ? En présence de qui ? Quel est le rôle des représentants du personnel ?
Autant de questions auxquelles répond cet article.

Si l'évaluation du personnel entre biensûr dans les prérogatives d'un employeur, il reste que ce dernier ne peut pas évaluer n'importe comment : des règles précises encadrent ce processus.

Les principales règles
  • Tout d'abord, les salariés doivent être informés, de manière collective ou individuelle, de leur évaluation préalablement à son déroulement.
Ceci relève du 1er alinéa de l'article L. 1222-3 du Code du travail :
« Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard. »

Cette première condition est importante pour maintenir la loyauté dans les relations de travail. Dans le même esprit, le texte de loi précise aussi dans son 2e alinéa que les résultats de l'évaluation doivent rester confidentiels. La CNIL rappelle toutefois que les salariés évalués ont le droit d'accéder à leur évaluation.

En revanche, une fois informé, le salarié ne peut pas refuser de se rendre à son entretien d'évaluation sans risquer une sanction (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-42368).
  • Ensuite, le législateur pose comme impératif que les critères d'évaluation soient objectifs ; dernier alinéa de l'article L. 1222-3 du Code du travail :
« Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».
La direction doit donc être en mesure de préciser sur quels critères pertinents et vérifiables elle entend évaluer les salariés ; écartant ainsi au maximum les risques de discrimination.
D'autant qu'elle devra les exposer aux représentants du personnel :
  • En effet, le CE et le CHSCT sont tous deux compétents en matière d'évaluation du personnel.

Le CE au titre des articles L. 2323-27 du Code du travail en son 1er alinéa :
« Le comité d'entreprise est informé et consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail résultant de l'organisation du travail, de la technologie, des conditions d'emploi, de l'organisation du temps de travail, des qualifications et des modes de rémunération ».
Et L. 2323-32 :
« Le comité d'entreprise est informé, préalablement à leur utilisation, sur les méthodes ou techniques d'aide au recrutement des candidats à un emploi ainsi que sur toute modification de celles-ci.
Il est aussi informé, préalablement à leur introduction dans l'entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci.
Le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés. »
Le CHSCT, en raison de l'impact de ces évaluations sur les conditions de travail et du risque de stress, notamment au fondement du second alinéa de l'article L. 2323-27 :
« A cet effet, il étudie les incidences sur les conditions de travail des projets et décisions de l'employeur dans les domaines mentionnés au premier alinéa et formule des propositions. Il bénéficie du concours du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans les matières relevant de sa compétence. Les avis de ce comité lui sont transmis »
Et de la jurisprudence : Cass. soc., 28 nov 2007, n° 06-21964 :
« Mais attendu qu'ayant relevé que les évaluations annuelles devaient permettre une meilleure cohérence entre les décisions salariales et l'accomplissement des objectifs, qu'elles pouvaient avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière et leur rémunération, et que les modalités et les enjeux de l'entretien étaient manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a exactement décidé que le projet de l'employeur devait être soumis à la consultation du CHSCT chargé, par application de l'alinéa 1 de l'article L. 236-2 du code du travail, de contribuer à la protection de la santé des salariés ; que le moyen n'est pas fondé ; »

Conseil : les employeurs pensent souvent à consulter le CE, moins le CHSCT : il appartient aux élus du CE de rappeler alors à l'employeur son obligation de soumettre le projet d'évaluation aux membres du CHSCT.

Le déroulement de l'entretien d'évaluation

On dit souvent que l'évaluation des salariés est obligatoire ; c'est une fausse idée : aucun texte de loi n'impose d'évaluer les salariés.
 En revanche, des conventions collectives peuvent prévoir ces entretiens, ou la direction.

En tout état de cause, si une évaluation est prévue, elle doit s'appliquer à tous, de manière identique. Le salarié exclu d'un processus d'évaluation peut agir en justice pour perte de chance d'une éventuelle évolution de carrière (Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-45465).

Lors de l'entretien, le salarié ne peut pas exiger d'être accompagné par un autre salarié ou un représentant du personnel. En effet, si la loi prévoit parfois cet accompagnement, cela ne concerne pas l'entretien d'évaluation sauf dispositions différentes applicables dans l'entreprise.

Précision sur la notion de critères d'évaluation objectifs et pertinents

L'employeur doit évaluer les compétences professionnelles du salarié sur la base de critères objectifs et vérifiables. La CNIL exige que l'évaluation se fonde sur des critères « présentant un lien direct et nécessaire avec l'emploi occupé » (CNIL n° 2005-002 du 13 janv 2005).

Il en résulte que l'employeur ne peut pas utiliser de critères d'évaluation discriminatoires ou subjectifs.

Ainsi par exemple, les juges considèrent comme illicite l'évaluation professionnelle par quotas ou « ranking par quotas » : ce système vise à classer les salariés par groupe dont un groupe de niveau inférieur. Le problème est que ce système contraint donc par avance l'évaluateur à classer certains salariés dans le dernier groupe, avant même de les avoir évalués, et donc de manière forcée (dit « forced ranking ») alors même que tous auraient rempli leurs objectifs (Cour d'appel de Versailles, 1er chb, 8 sept 2011, n°10-00567).

De même, une évaluation fondée sur des critères comportementaux non professionnels et trop flous est illicite. C'est ce que révèle un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse (Cour d'appel de Toulouse, 4e chb, 21 sept 2011, n°11/00604) : pour fixer le montant de la prime variable sur objectifs, l'évaluateur d'Airbus devait vérifier la réalisation des objectifs, mais aussi que les moyens utilisés pour les atteindre étaient conformes aux valeurs d'Airbus, à savoir notamment le courage, le travail en équipe, le talent. Selon les juges, même si ces « valeurs » étaient détaillées dans des notes de service, elles ne constituent pas des critères concrets et transposables à l'activité professionnelle réelle des salariés. De plus, la Cour d'appel considère que certains critères, comme celui « d'agir avec courage », ont une connotation morale et personnelle, nécessairement subjective et contraire au principe de critères objectifs d'évaluation.